Péripéties et impressions d'un Français expatrié en Chine puis à Singapour.
Les élections présidentielles sont terminées. C'est dommage, c'était vraiment très intéressant, et il me tarde de savoir ce que Hollande aura mangé à midi en 2017 le jour du deuxième tour (s'il y est).
Comme quasiment toutes les élections présidentielles avant, on a pu utiliser la bonne vieille méthode:
1.Les médias et sondeurs décident qu'il n'y a que deux candidats crédibles: RPR/UMP contre PS (après ça devient trop compliqué de toute façon), et ça se sent.
2.Au premier tour, on place en avant les deux finalistes choisis par les gens mentionnés ci-dessus.
3.Au second tour, les électeurs choisissent le président au cours d'un duel dont les mêmes sondeurs avaient dit que plus de 60% des Français ne le souhaitaient pas.
Ce qui veut dire qu'on était une majorité à trouver ce deuxième tour à chier...
Et figurez-vous que ce système à deux tours est pas mal décrié, par des mathématiciens et statisticiens. Il n'a pour seul avantage que d'être très simple à comprendre et à dépouiller.
Pourquoi changer le système actuel?
Je ne sais pas pour vous, mais au premier tour, moi je n'ai voté pour aucun des deux finalistes. Et si on vous posait maintenant la question: si votre candidat préféré n'est pas élu, qui est votre second choix? Ah, on ne vous pose pas la question.
Ou alors: qui est le (les?) candidat(e)(s) que vous ne voulez surtout, mais alors surtout pas voir élu(e)(s)? Combien pensent à un des candidats qui est arrivé au deuxième tour? Ça vous semble logique?
On ne vous pose pas la question!
Ben non. Le mieux que vous puissiez faire, c'est tenter un vote utile basé sur des sondages dont vous ne savez pas s'ils sont manipulés! Et à la fin, on ne sait pas si vous votez pour A, ou si vous votez surtout contre B, alors que votre favori, c'était quand même C, avec une forte sympathie pour D.
Et oui, c'est compliqué tout ça. Mais on ne peut pas tout avoir, n'est-ce pas?
Ben en fait, si, ou presque: il existe des alternatives à ce système à deux tours qui nous encourage à faire des calculs très tordus!
Citons-en quelques-uns:
Dans le système de Condorcet, les électeurs classent les candidats par ordre de préférence.
Au dépouillement, on simule tous les duels possibles (tous les deuxièmes tours possibles, si vous préférez).
Dans la plupart des cas, un candidat remporte tous ses duels (il est, en moyenne, le "mieux" classé).
Le problème survient dans les cas particuliers, où il n'y a pas de candidat qui remporte tous ses duels. Et là, ça se complique! Je passe les détails, mais on peut rendre la chose complètement imbitable (ou comment donner le pouvoir aux mathématiciens...).
Alors là, accrochez-vous!!
On classe encore une fois les candidats par ordre de préférence.
Ensuite, on compte combien de fois chaque candidat a obtenu la première place. Si un candidat obtient la majorité absolue (plus de 50%) des premières places, il a gagné.
Sinon, on compte combien de fois un candidat a obtenu la dernière place (candidat le plus rejeté!), et on l'élimine: donc on barre son nom de chaque bulletin.
Et on recommence: sans le candidat le plus rejeté, est-ce que maintenant on a un candidat qui obtient une majorité absolue des premières places? Non? Alors on cherche qui est le nouveau candidat qui a la plus souvent la dernière place, et on l'élimine. On barre son nom, et on recommence encore!
Avantage: on élimine les candidats les plus rejetés. Il y a toujours une expressivité plus grande.
Inconvénient: il n'y a que l'ordinateur à la fin qui puisse faire le dépouillement, et vous l'aurez compris: je n'aime pas qu'un ordinateur nous ponde un truc complètement invérifiable.
Dans cette méthode, on met dans l'enveloppe un bulletin de chaque candidat qu'on juge "acceptable" en tant que président. Le candidat qui reçoit le plus de bulletins gagne. Simple et efficace, ce vote manque cependant de nuance: vous donnez autant de poids à votre candidat préféré qu'à votre second voire troisième choix!
Alors? Toujours pas de solution?
Ben si, quand même!
Le vote par valeurs est assez simple: on vous propose une échelle de poins (disons de -2 à +2, en passant par -1, 0, +1, simple, non? on peut faire aussi 0 à 5, 0 à 100, mais ça ne sert à rien de faire trop compliqué!).
Vous donnez une note à chaque candidat. Vous n'êtes pas obligés d'utiliser toute la plage, mais vous pouvez donc aller de "celui-là est vraiment mon préféré" (+2) à "celui-là je n'en veux vraiment pas!!" (-2) avec les intermédiaires.
Au dépouillement, on compte les points, et celui qui en a le plus a gagné.
Cette méthode permet, normalement, de favoriser le candidat le plus consensuel: celui qui ne génère pas forcément le plus d'enthousiasme, mais qui ne suscite pas le plus de haine non plus.
Maintenant, soyons réalistes: ça reste toujours plus compliqué (en fait, surtout plus long) à dépouiller que le simple bulletin unique dans une enveloppe. Mais on peut tout-à-fait imaginer un dépouillement assisté par ordinateur avec surveillance des assesseurs.
Imaginons un grand écran que tout le monde voit bien. À chaque bulletin scanné par l'ordinateur, on voit la note de chaque candidat changer et tout le monde peut relire le bulletin. En plus, on peut recompter à la main si on a la patience et l'organisation nécessaire.
Mais est-ce que ça marcherait dans la vraie vie?
Et bien ça tombe bien, parce que l'expérience a été faite! On (pas moi hein!) a laissé les internautes s'essayer à cette élection en parallèle avec la vraie, en utilisant les mêmes candidats, et en ajoutant quelques stats. L'élection a duré plus longtemps, bien sûr, mais aucun résultat n'a filtré (pas d'effet "je vais corriger ces résultats de merde en votant pour machin") avant la fin de l'expérience.
Bon, attention: l'expérience a été faite sur internet, ce qui implique que la population a été filtrée au départ:
Les résultats et analyses sont disponibles ici:
http://doc.votedevaleur.org/exp2012/compteRenduPreliminaire/VdVexp2012-crPreliminaire.pdf
Pour les feignants qui n'iront pas lire:
Le sondage intégré comme référence donnait sensiblement la même chose que les sondeurs avant le deuxième tour. C'est-à-dire Hollande bat Sarkozy avec environ 54/46.
Mais: le sondage sur les autres combinaisons de deuxième tour faisait apparaitre que Bayrou aurait gagné chaque duel, contre Sarkozy, Hollande, Mélanchon, et Lepen. (pas la méthode Condorcet, de vrais duels, une question à la fois). Et pourtant, Bayrou n'arrive que 5ème au premier tour!
Et bien le vote de valeur fait gagner Bayrou!
Copie du classement avec les points (il s'agit de moyenne, pas du total, il y a eu plus de 11500 participants, c'est plus que ce que font les "grands" sondeurs...)
Bayrou | +0.25 |
Hollande | +0.05 |
Mélanchon | -0.31 |
Sarkozy | -0.35 |
Joly | -0.37 |
Dupont-Aignant | -0.68 |
Poutou | -0.91 |
Lepen | -1.01 |
Arthaud | -1.11 |
Cheminade | -1.11 |
Ouah! Ça change pas mal de ce qu'on a vu!
Sarkozy, mais surtout Lepen souffrent d'un rejet massif. Et oui, ce n'est pas tout de ne pas recevoir une voix, il ne faut pas non plus devenir le "candidat à abattre"!
Le bouleversement se voit chez ce qu'on a assez outrageusement appelé les "petits candidats". On voit par exemple que Eva Joly talonne Sarkozy. Il faut croire qu'elle était mieux appréciée qu'on ne l'aurait dit auprès des électeurs, même si elle n'était pas leur premier choix.
On peut tirer bien plus d'informations d'un tel résultat que notre traditionnel uninominal à deux tours. Le président élu peut voir la forte tendance à gauche, et aussi que si les électeurs de droite n'ont pas forcément massivement rejeté les candidats de gauche, le contraire semble vrai: Sarkozy, Lepen et Dupont-Aignant ont reçu beaucoup de notes négatives. On le voit vachement moins dans un 51.7/48.3!
L'analyse dans le compte-rendu est certainement plus pertinente que la mienne, mais j'ajouterais un truc:
Quand l'expérience a été lancée, on prédisait une forte abstention, due à un rejet de la tournure de la campagne, d'un manque de satisfaction des candidats. Et là on voit bien qu'il y a bien plus de notes négatives que positives.
Il y a des inconvénients à la méthode, comme le dit le compte-rendu: il est presque impossible d'exprimer un bulletin blanc (en mettant 0 à tout le monde? complètement transparent au résultat!). Ils réfléchissent à une case "vote blanc".
Vous aurez compris que je trouve ce système très bien, et je me prends à rêver d'une réforme du scrutin pour la présidentielle.
Mais...
La réponse est évidente: ceux qui profitent du statut quo sont ceux qui prennent les décisions!
Comment voulez-vous que l'UMP et le PS acceptent de basculer sur un système qui dans la présente simulation les donne tous les deux perdants (voire même très très perdants pour l'UMP).
Pourquoi même envisager de changer un mode de scrutin qui leur garantit presque systématiquement un duel au lieu de donner une chance à un quelconque autre parti/candidat, et ce quelles que soient les tendances de l'opinion publique?
Et pourtant, avec un vote par valeurs, on n'aurait sûrement pas connu 2002, vu qu'il est possible de rejeter un candidat plutôt que de voter pour "le candidat du rejet des autres".
Vous-mêmes, qui lisez, et qui, à environ 91%, n'avez pas voté Bayrou au premier tour, auriez-vous préféré avoir eu ce mode de scrutin? Vous êtes certainement au moins 27% à penser que non vu que Hollande a gagné ce coup-ci et que vous étiez 27% à le mettre en favori au premier tour... encore que?
Combien ne sont pas contents de Hollande et auraient mis Bayrou en choix n°2?
Combien ont "voté utile" dans les 27%?
Rappelons aussi qu'il s'agit d'un vote sur internet, et que la population de votants faisait gagner Bayrou dans chaque duel contre un autre candidat. Si on avait pris l'ensemble de la population française sans filtrage initial, le résultat aurait peut-être été différent?
Hollande est déjà en deuxième position...